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ARTE.TV – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
En 1924, Lotte Lenya (1898-1981) va à la gare accueillir Kurt Weill (1900-1950), dont elle ne connaît pas la tête. Il est petit, chauve, porte des lunettes ; elle n’est pas une « jolie fille » dans le sens classique du terme. Mais ils vont se marier (deux fois : en 1926 et 1937) et entretenir une relation amoureuse (très libre) et artistique (très féconde) jusqu’à la mort du compositeur à l’âge de 50 ans.
Lotte se destine au métier de danseuse mais est jugée trop lourde pour la danse classique, ainsi que le rappelle le documentaire Lotte Lenya. Pourquoi je souffre tant ?, de Katja Duregger. Elle joue bientôt la comédie et, alors qu’elle n’a aucune formation musicale, va devenir la voix (d’abord flûtée puis gutturale) des rengaines supérieures que Weill écrit pour elle.
Elle est Jenny dans L’Opéra de quat’sous (1928) puis dans le film (1931) que fait Georg Wilhelm Pabst de la pièce en musique conçue par Weill et Bertold Brecht. En 1933, alors qu’elle a divorcé de Weill, Lenya (qui n’est pas juive) rejoint le compositeur (qui, juif, a dû fuir l’Allemagne nazie) à Paris, où elle crée Les Sept Péchés capitaux, qu’elle affectionnait particulièrement.
En 1935, ils émigrent aux Etats-Unis et s’y remarient. Weill se réinvente en composant des musicals dans un genre plutôt intellectuel et sophistiqué. Il n’obtiendra jamais le succès de Rodgers et Hammerstein, les rois de Broadway, mais gagne assez d’argent pour acheter une jolie maison, près de New York.
Weill travaille du matin au soir ; Lenya se plaint d’autant plus de ne le voir qu’aux repas qu’elle ne trouve pas d’engagements américains : elle ne correspond à aucun des types qu’affectionne Broadway à l’époque. Elle batifole – elle l’a déjà fait, avec des hommes et des femmes – et entretient diverses liaisons.
Après la mort soudaine de Weill, en 1950, Lenya, très affectée, se remarie deux fois, en 1951 et en 1962, avec deux homosexuels qui meurent respectivement en 1957 et 1967. Elle fera un quatrième mariage, qui s’achève avant même d’être consommé, et que n’évoque pas le documentaire.
Entre-temps, Lotte Lenya est revenue au premier plan. Elle enregistre des disques, en Europe et aux Etats-Unis, et fait une carrière tardive à Hollywood : elle marque notamment dans Bons Baisers de Russie (1963), un James Bond de Terence Young, où elle incarne Rosa Klebb, méchante agente lesbienne du KGB, à la myopie concupiscente et aux chaussures équipées de lames rétractables.
Lenya fonde la Kurt Weill Foundation for Music, en 1962, dont elle s’occupera activement jusqu’à ses derniers jours. Elle participe à la création de Cabaret (1966), à Broadway, de Fred Ebb (paroles), John Kander (musique) et Joe Masteroff (livret), qui évoque la Berlin de ses débuts… Dès lors, Lotte Lenya n’est plus seulement, dit-elle, « la veuve de Kurt Weill, mais elle-même ».
Le documentaire de Katja Duregger balaye largement la vie de l’Américaine d’origine autrichienne mais évoque trop brièvement ses dernières années, quand Lotte Lenya, atteinte d’un cancer, se retrouve sous la coupe d’un entourage lesbien qui la protège de très – voire de trop – près (qui interdira même à certains proches l’accès à ses funérailles). Le sujet est probablement encore trop controversé.
Lotte Lenya. Pourquoi je souffre tant ?, documentaire de Katja Duregger (EU-Aut.- All., 2020, 52 min). Sur Arte.tv jusqu’au 1er novembre.
Renaud Machart
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